A Taïwan, la génération qui défie Pékin
不把北京當一回事的新一代台灣年輕人
Photographe : Florence Brochoire. Textes et sons : Christine Bouteiller
Alors qu'à Hong Kong, la répression ferme les derniers parapluies de la révolte, on entend peu parler de Taïwan. Pourtant dans cette île grande comme la Belgique et deux fois plus peuplée, s'invente un mode de contestation dont l'acte fondateur a été, en mars, le « mouvement des Tournesols ». Une fronde qui porte ses fruits : aux élections municipales du 29 novembre, le Kuomintang (KMT), parti au pouvoir qui prône le rapprochement avec la Chine continentale, a subi une défaite historique. Depuis, le gouvernement a démissionné et le président Ma-Ying Jeou a quitté la tête du parti. Portraits de jeunes qui prétendent donner une leçon de démocratie à la grande Chine.
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Dans ce quartier commercial du centre de Taïpei, des flashmobs musicaux défendent la démocratie, effective depuis les années 1990, et la souveraineté de Taïwan, menacée par la Chine. À l'instar de la violoniste Agnès C.H. Lin et de son groupe, le nouveau visage de l'activisme taïwanais est joyeux et non violent.
Textes et sons : Christine Bouteiller / Traduction: Mélanie Ferrand
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Li Bo Zhang, 21 ans, est connu pour ses prises de parole très sarcastiques contre le KMT, qui lui valent le surnom de « mitraillette de l'indépendance ». Même si Taïwan est de facto indépendante et détient sa propre constitution, Pékin ne cache pas vouloir imposer à l'île le principe dit « un pays, deux systèmes » comme à Hong Kong.
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Lin Fei-Fan (à droite, 26 ans) et Chen Wei-Ting (à gauche, 23 ans) sont les deux leaders du mouvement des Tournesols. Orateurs brillants et décontractés, hyperactifs sur les réseaux sociaux, ils sont devenus charismatiques dans toute l'île. Ils ont créé avec plusieurs universitaires l'organisation Taïwan March, dont le but est de réformer la constitution taïwanaise, à commencer par le mode de référendum jugé inefficace.
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Parlement législatif, Taïpei. Le 18 mars 2014, des étudiants l'ont occupé pendant trois semaines, pour protester contre un accord qui soumettait plus encore leur économie à la Chine continentale. Ce mouvement des Tournesols est soutenu dans la rue par près de 500 000 personnes. Les étudiants maintiennent désormais le rapport de force politique au travers de groupes thématiques.
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Taïwan March organise des camps d'été pour former ses militants au débat public. Jusqu'à récemment, la politique était considérée dans la société taïwanaise comme un sujet “sale”, peu attrayant. Dorénavant, se rassembler autour de thèmes sociaux ou politiques est devenu “fun”.
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Yenchen a 23 ans et n'est pas un militant de la dernière heure : depuis deux ans, il est engagé auprès des « Défenseurs de Hua-Guang », un groupe d'étudiants qui proteste contre la destruction d'anciens quartiers populaires de Taïpei, victimes de la spéculation immobilière.
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Les Défenseurs de Hua-Guang manifestent devant le tribunal pour défendre les habitants, venus s'installer à Taïpei pendant l'essor économique des années 1960-70. Beaucoup de jeunes refusent désormais d'être les bons petits soldats d'un libéralisme soumis aux investisseurs chinois. Ils remettent en cause le développement économique à tout crin, et luttent pour plus de justice sociale.
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Les considérations environnementales étaient encore marginales il y a quelques années chez les Taïwanais, concentrés sur l'essor de leur industrie. Mais l'accident nucléaire de Fukushima au Japon tout proche est passé par là. La Green Citizens Action Alliance, notamment, a réussi à empêcher l'ouverture d'une quatrième centrale nucléaire, jugée inutile.
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Wu Zhen, 25 ans et Lai Pin-Yu, 22 ans, sont aussi des figures médiatiques des Tournesols toujours très impliquées dans les débats. « En France vous avez l'habitude de la démocratie. Nos premières élections législatives à Taïwan datent seulement de 1996. Nous devons trouver notre propre voie démocratique, nous former, et cela passe par de petits groupes pour que chacun puisse s'exprimer. »
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Les camionnettes des indépendantistes, qui crachotent leurs slogans dans les rues depuis des décennies, doivent désormais se frayer un chemin parmi les banderoles pastel des nouveaux militants. Deux générations, deux méthodes mais une même cause : l'indépendance politique et économique de Taïwan.
« Taïwan, c'est Taïwan », la chanson diffusée par les camionnettes des indépendantistes.
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Beaucoup de ces jeunes l'ignorent encore : ils sont les héritiers d'une longue tradition de protestation à Taïwan. Shih Mi-Nuo n'a que 16 ans, mais elle se bat pour faire connaître l'histoire des victimes de la Terreur blanche, répression initiée par Chiang Kai-Chek en 1947. Elle a déjà réuni une quantité impressionnante de documents et édité un livre.
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Le père de Shih Mi-Nuo n'est autre que le célèbre activiste Shih Ming-Teh, qui a passé plus de 25 ans en prison sous la loi martiale (1947-1987). Il a même tenté en 1979 de changer de visage pour pouvoir quitter le pays... en vain. Les chiens ne font pas des chats ici non plus : pendant les Tournesols, Mi-Nuo a peint sur les murs du parlement cette citation du livre Train de Nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier : « Quand la dictature est un fait, la révolution est un devoir. »
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Lin Shu-Lin tient à se faire appeler Sin Sin, son nom en langue aborigène amis. Sur la plage de la côte est où vit sa famille et où sa communauté perpétue des rituels séculaires, elle a vu un immense hôtel émerger. Avec d'autres, elle a créé l'association Fan Fan Fan Meiliwan, qui se bat contre l'exploitation abusive du littoral, contre les constructions illégales et contre l'irrespect des cultures aborigènes.
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Les aborigènes représentent 2 % de la population à Taïwan. Longtemps méprisés par les Taïwanais, ils ont obtenu en 2005, à l'instar des Indiens d'Amérique, la création d'une loi défendant leurs droits spécifiques et en particulier leurs terres. Mais même si Fan Fan Fan vient de gagner son 7e procès, il n'est pas dit que l'hôtel n'ouvre pas ses portes puisque l'enjeu économique semble, aux yeux du gouvernement local, dépasser celui de la loi...
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Ce portfolio n'illustre que quelques-uns des nombreux combats militants à Taïwan, qui ne sont pas représentatifs de toute la jeunesse taïwanaise. Même si les mentalités bougent, la tendance générale est, comme partout, à la consommation de masse et à l'individualisme ultra-connecté. Le génie de la « génération Tournesols » est sans doute de réussir à faire entrevoir l'émergence d'un nouveau modèle démocratique dans ce terreau.
- Ce reportage a été réalisé durant l'été 2014.
Retrouvez d'autres séquences dans le n° 10 du magazine Fisheye en janvier 2015.
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