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從2006年法國最大學運看台灣

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從2006年法國最大學運看台灣~

法國在2006年這個學運, 是學生與社會新鮮人, 對工作就業的立法有疑慮, 所發起的全國串聯性抗爭, 法國政府跟這次台灣政府看待服貿的態度一樣, 也是要強行闖關讓他立法成功. 後來經過激烈抗議後, 終有撤回. 嗯, 跟台灣服貿的性質, 不見得蘋果跟蘋果的比較, 畢竟服貿是跨海兩國之間的協定, 法國那次的學運則是竄燒在法國國內的家務事. 不過, 或多或少, 可作些參考.

「政治必須在行政命令、公眾意見與公眾協商三方基礎獲得合法性。當政府無視原有的社會協商機制時,反對學生(或群眾)就會行使他的「民主」權利,但其行動可能超出原有的「民主」框架。 反之,政府也是。」


相片:【TEWA公民塾】當民主與社會協商機制失靈時 – 從2006年法國最大學運看台灣「法國高等社會人文科學院社會系教授François Dubet在分析反CPE法案抗爭運動時表示:「民主不僅限於制度化體制內。代議政治是選舉與憲法實行雙管齊下的產物,但它同時也必須被公眾意見(像是透過民調)所定義,並建立在社會各方協商的機制上。也就是說,社會各方成員能彼此協商,也能夠與對話者溝通。而這讓所謂的民主更顯複雜:政治必須在行政命令、公眾意見與公眾協商三方基礎上獲得合法性。然而,這也會使得許多民主形式變得越來越麻木失靈或產生某些困難,如目前的反CPE抗爭運動。因此,當政府無視原有的社會協商機制時,反CPE的學生便是同時行使他的「民主」權利,但其行動也超出原有的「民主」框架。 同樣的,政府也是。」--------------------------------------2006年1月16號,當時的法國總理德維爾潘(Dominique de Villepin)宣布首次雇用合約法案CPE (Contrat Première Embauche)。一月十八號,法國最大雇職員工工會「工作總聯會」(CGT)秘書長提博(Bernard Thibault)致電法國大學生工會「法國學生全國聯盟」(UNEF)秘書長朱亞(Bruno Julliard),表示對於政府宣布之法案內容感到震驚,並表示若學生工會將採取行動,工作總聯會將提供所需的物資支援,也建議召集各大工會與學生組織,共同研討對策。「首次雇用合約」(Contrat Première Embauche,簡稱CPE )是法國右派政府於2006年一月提出之「機會平等法」(Loi de l’Egalite de chance,簡稱LEC)中的一條,屬於無限期合約(CDI)的一種。一般而言,法國法律規定工作合約可設定試用期。而傳統無限期合約(CDI)中,試用期通常為合約起始的前六個月。在試用期間雇主可無需理由終止合約,六個月後則需提出解雇理由。但根據CPE法規規定,員工超過二十人之私人企業雇主,在首次以無限期合約方式雇用一名未滿26歲之青年時(首次雇用指的是該公司首次雇用該名青年,而非該名青年首次就業),可有為期兩年的「鞏固期」,期間雇主可無需理由終止合約(無故解雇)。此方案為當時法國政府為解決青年失業率居高不下(23%,全國平均失業率為8%)所提出之方案。但許多法國學生與民眾認為CPE違反了工作權保障,會成為雇主合法剝削青年勞動力的靠山,因為雇主可濫用解雇權,加重青年就業的不穩定情形。此外,也會影響雇主雇用26歲以上人士的意願。該項影響青年就業與勞工權益的法案引起了大規模抗爭,在工會支援下,由學生工會與自主性組織帶領了一波又一波的抗議行動。反CPE遊行於2月7日第一次走上街頭,據警方估計約二十多萬多人參與。然而法國政府反而加快腳步讓法國參議院在3月1日通過法案,3月21日由總統席哈克發佈法律生效。此舉引發抗議者不滿,當時有55%的法國人認為應該撤回法案。反CPE法案3月7日第二次上街遊行,聚集了40萬人左右參與。同一天,一百多名學生佔領了巴黎索邦大學。持續了三天之後,11日清晨四點,學生遭法國警方以警棍、催淚瓦斯強制驅離,並將索邦廣場與其附近的街巷全部封鎖至4月24日。然而,鎮壓使得學生更團結。在法國全國84所大學中,學生工會陸續整合了50所以上的大學,全面進行封校罷課。學生使用鐵鍊、桌椅將學校封鎖起來癱瘓校務,沒有任何老師、學生能夠自由進出,封鎖口都由學生指揮。全國大學的罷課行動是由各校學生代表所組成的「全國學生代表統籌會」(coordination nationale d’étudiants)開會決定每一步的抗議行動。每所學校各自也會定期召開「學生大會」,讓學生共同表決是否決定封校、罷課。抗議期間,部分學生也進行阻塞鐵路、公路、封鎖車站、橋墩、包圍全國就業中心(ANPE)等行動癱瘓社會秩序。「高中生工會」(FIDL)也加入抗議行動,社會的響應愈發熱烈。各地的罷工行動也影響了鐵路交通,全法超過70個城鎮受到影響。4月1日在各工會動員下,全國各地上街的抗議群眾已達到100至300百萬人參與。在社會各方抗議的壓力下,法國總理德維爾潘終於在4月10日宣布「由於施行法案各方條件尚無法統整」,於是決定撤回CPE法案。法國高等社會人文科學院社會系教授François Dubet在分析反CPE法案抗爭運動時表示:「民主不僅限於制度化體制內。代議政治是選舉與憲法實行雙管齊下的產物,但它同時也必須被公眾意見(像是透過民調)所定義,並建立在社會各方協商的機制上。也就是說,社會各方成員能彼此協商,也能夠與對話者溝通。而這讓所謂的民主更顯複雜:政治必須在行政命令、公眾意見與公眾協商三方基礎上獲得合法性。然而,這也會使得許多民主形式變得越來越麻木失靈或產生某些困難,如目前的反CPE抗爭運動。因此,當政府無視原有的社會協商機制時,反CPE的學生便是同時行使他的「民主」權利,但其行動也超出原有的「民主」框架。 同樣的,政府也是。」更多學運影像資料請參見法國攝影師Philippe Brault的作品:http://www.philippe-brault.com/en/anti-cpe-protest/參考資料:Bruno Julliard, Génération CPE, Edition Privé, 2007, ParisRénaud Bécot, Aurélien Boudon, Blaise Dufal, Julie le Mazier, Kamel Tafer (Coord.) Université sous tension, retours sur la mobilisation contre la loi pour l'égalité des chances et le CPE, Edition Syllepse, 2011, Parishttp://tempsreel.nouvelobs.com/social/20060324.OBS1717/cpe-les-evenements-du-23-mars.htmlhttp://www.linternaute.com/actualite/dossier/06/cpe/chronologie-cpe.shtmlhttp://www.lemonde.fr/societe/chat/2006/03/22/mouvement-anti-cpe-que-veulent-les-jeunes_753638_3224.htmlhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_contre_le_contrat_premi%C3%A8re_embauche#Positions_politiques(J、Ψ)

以下為全文:

2006年1月16號,當時的法國總理德維爾潘(Dominique de Villepin)宣布首次雇用合約法案CPE (Contrat Première Embauche)。

一月十八號,法國最大雇職員工工會「工作總聯會」(CGT)秘書長提博(Bernard Thibault)致電法國大學生工會「法國學生全國聯盟」(UNEF)秘書長朱亞(Bruno Julliard),表示對於政府宣布之法案內容感到震驚,並表示若學生工會將採取行動,工作總聯會將提供所需的物資支援,也建議召集各大工會與學生組織,共同研討對策。

「首次雇用合約」(Contrat Première Embauche,簡稱CPE )是法國右派政府於2006年一月提出之「機會平等法」(Loi de l’Egalite de chance,簡稱LEC)中的一條,屬於無限期合約(CDI)的一種。
一般而言,法國法律規定工作合約可設定試用期。而傳統無限期合約(CDI)中,試用期通常為合約起始的前六個月。在試用期間雇主可無需理由終止合約,六個月後則需提出解雇理由。
但根據CPE法規規定,員工超過二十人之私人企業雇主,在首次以無限期合約方式雇用一名未滿26歲之青年時(首次雇用指的是該公司首次雇用該名青年,而非該名青年首次就業),可有為期兩年的「鞏固期」,期間雇主可無需理由終止合約(無故解雇)。

此方案為當時法國政府為解決青年失業率居高不下(23%,全國平均失業率為8%)所提出之方案。但許多法國學生與民眾認為CPE違反了工作權保障,會成為雇主合法剝削青年勞動力的靠山,因為雇主可濫用解雇權,加重青年就業的不穩定情形。此外,也會影響雇主雇用26歲以上人士的意願。

該項影響青年就業與勞工權益的法案引起了大規模抗爭,在工會支援下,由學生工會與自主性組織帶領了一波又一波的抗議行動。反CPE遊行於2月7日第一次走上街頭,據警方估計約二十多萬多人參與。然而法國政府反而加快腳步讓法國參議院在3月1日通過法案,3月21日由總統席哈克發佈法律生效。此舉引發抗議者不滿,當時有55%的法國人認為應該撤回法案。

反CPE法案3月7日第二次上街遊行,聚集了40萬人左右參與。同一天,一百多名學生佔領了巴黎索邦大學。持續了三天之後,11日清晨四點,學生遭法國警方以警棍、催淚瓦斯強制驅離,並將索邦廣場與其附近的街巷全部封鎖至4月24日。然而,鎮壓使得學生更團結。

在法國全國84所大學中,學生工會陸續整合了50所以上的大學,全面進行封校罷課。學生使用鐵鍊、桌椅將學校封鎖起來癱瘓校務,沒有任何老師、學生能夠自由進出,封鎖口都由學生指揮。全國大學的罷課行動是由各校學生代表所組成的「全國學生代表統籌會」(coordination nationale d’étudiants)開會決定每一步的抗議行動。每所學校各自也會定期召開「學生大會」,讓學生共同表決是否決定封校、罷課。抗議期間,部分學生也進行阻塞鐵路、公路、封鎖車站、橋墩、包圍全國就業中心(ANPE)等行動癱瘓社會秩序。「高中生工會」(FIDL)也加入抗議行動,社會的響應愈發熱烈。各地的罷工行動也影響了鐵路交通,全法超過70個城鎮受到影響。4月1日在各工會動員下,全國各地上街的抗議群眾已達到100至300百萬人參與。在社會各方抗議的壓力下,法國總理德維爾潘終於在4月10日宣布「由於施行法案各方條件尚無法統整」,於是決定撤回CPE法案。

法國高等社會人文科學院社會系教授François Dubet在分析反CPE法案抗爭運動時表示:「民主不僅限於制度化體制內。代議政治是選舉與憲法實行雙管齊下的產物,但它同時也必須被公眾意見(像是透過民調)所定義,並建立在社會各方協商的機制上。也就是說,社會各方成員能彼此協商,也能夠與對話者溝通。而這讓所謂的民主更顯複雜:政治必須在行政命令、公眾意見與公眾協商三方基礎上獲得合法性。然而,這也會使得許多民主形式變得越來越麻木失靈或產生某些困難,如目前的反CPE抗爭運動。因此,當政府無視原有的社會協商機制時,反CPE的學生便是同時行使他的「民主」權利,但其行動也超出原有的「民主」框架。 同樣的,政府也是。」

Mouvement anti-CPE : que veulent les jeunes ?

François Dubet, sociologue, le jeudi 23 mars 2006


Ed : Le mouvement anti-CPE est-il une réplique de la crise des banlieues ?

François Dubet : Le mouvement anti-CPE est une réplique dans le sens où les jeunes étudiants, même s'ils sont majoritairement des classes moyennes et beaucoup mieux traités que les jeunes de banlieue, sont aussi très inquiets face à l'avenir qu'on leur réserve. Mais ce sont deux jeunesses très différentes, qui sont dans des conditions sociales elles aussi très différentes. Cependant, la succession de ces deux mouvements montre que la question de la formation et de l'emploi des jeunes est maintenant devenue centrale.

Nathalie : Considérez-vous que les manifestations actuelles soient la marque d'un sursaut démocratique du côté de la jeunesse, sachant que la crise actuelle découle d'une "méprise" des formes institutionnelles de concertation ?

François Dubet : Je crois qu'aujourd'hui la démocratie ne se limite pas au système institutionnel. Le problème de la représentation politique est à la fois dans le jeu des élections et l'application de la Constitution, mais il est aussi défini par l'attention apportée à l'opinion publique, notamment à travers les sondages, et il repose aussi sur un système de négociations sociales dans lequel les acteurs sociaux négocient entre eux et avec leurs partenaires. Ce qui fait que le jeu démocratique est devenu beaucoup plus complexe puisque le politique doit être légitime dans l'ordre des institutions, dans le registre de l'opinion et dans le registre des négociations sociales. Ce qui peut d'ailleurs conduire à des formes de paralysie ou à des difficultés importantes, comme c'est le cas aujourd'hui. En ce sens, les étudiants sont à la fois des acteurs démocratiques et, bien évidemment, des acteurs non démocratiques, de la même manière que le gouvernement a été démocratique et non démocratique quand il est passé par-dessus le jeu des négociations sociales.

Katnoz : Le mouvement anti-CPE a-t-il des aspects comparables au mouvement de 1968 : grève générale annoncée, étudiants, lycéens en phase... ?

François Dubet : Je dirais que dans l'ordre politique, ce mouvement a des aspects comparables, parce que la crise gouvernementale est extrêmement forte, que les risques de violences incontrôlées sont de plus en plus grands, et qu'il peut y avoir une crise qui dure. Mais sur le plan sociologique, ce mouvement n'est pas comparable à celui de mai 1968, car les étudiants de 1968 étaient une jeunesse relativement favorisée, confiante dans son avenir et dans son intégration sociale, mais très critique à l'égard de la culture, jugée répressive, autoritaire, vieillotte, de la société dans laquelle ils s'apprêtaient à entrer. Aujourd'hui, les étudiants ne critiquent guère cette société, ils sont surtout soucieux d'y trouver une place. Par exemple, le mouvement étudiant ne critique pas l'Université et n'en appelle pas à "une autre façon de vivre". Je crois que la comparaison la plus sage serait peut-être celle de décembre 1995, et non celle de mai 1968.

Eco-AD : Ne pensez-vous pas que le problème de fond des manifestants d'aujourd'hui est le décalage entre des rêves d'emploi entretenus par le système éducatif, qui les pousse dans des formations longues et sans issue, et la réalité plus prosaïque du monde du travail ?

François Dubet : Je suis totalement d'accord avec cette remarque. La multiplication du nombre des diplômes, la liberté offerte aux étudiants de choisir les études qui leur plaisent, sont en elles-mêmes d'excellentes choses. Mais elles ont une conséquence fâcheuse : il y a une grande distance entre les qualifications scolaires et le marché du travail, et beaucoup d'étudiants découvrent qu'il n'y aura pas beaucoup de lien entre leur diplôme et leur emploi. Ils peuvent avoir le sentiment que les promesses n'ont pas été tenues, ainsi qu'une peur de déchoir puisque l'école les avait laissé rêver.
 
"LES JEUNES SONT RESPONSABLES DU PIÈGE DANS LEQUEL ILS SE TROUVENT"

Quentin : N'est-ce pas la révolte d'une génération à qui on avait promis le plein emploi, une haute éducation et un niveau de vie meilleur, et qui se retrouve les mains vides, endettée avant d'avoir pu travailler, trahie par ses aînés, notamment les élites, et qui a en elle une peur panique du lendemain ?

François Dubet : Il est difficile de dire que c'est la révolte de toute une génération, car bien des jeunes vont rapidement s'intégrer dans le monde du travail et bien s'y intégrer, mais il est vrai que beaucoup de jeunes peuvent avoir le sentiment qu'il n'y a pas de place pour eux. Sans être paradoxal, on peut considérer que les jeunes sont responsables du piège dans lequel ils se trouvent. En réclamant le droit de faire librement leurs études, ils acceptent une sélection finale. En refusant les réformes universitaires qui visent à rapprocher la formation et l'emploi, ils n'ont pas contribué à améliorer leur sort. En choisissant systématiquement les formations générales, ils ont construit leurs propres difficultés. Autrement dit, même si les jeunes ne sont pas les principaux responsables de leurs difficultés, il faudrait que les mouvements et les syndicats qui parlent en leur nom se demandent aussi dans quelle mesure ils n'ont pas participé à la construction de la situation actuelle.

Géraldine : Le CPE n'est-il pas le révélateur d'une crise sociale profonde et latente de notre pays ? Crise qu'on a pu voir notamment avec la crise des banlieues, le "non" au référendum qui témoigne entre autres d'une France qui a peur de son avenir, du chômage, mais aussi de la mondialisation...

François Dubet : Je partage totalement cet avis. Je crois que la crise du CPE signifie que la France n'a pas été véritablement capable de réagir aux transformations de notre monde. Elle a préféré se crisper sur des acquis, sur un imaginaire, plutôt que de chercher, comme les pays scandinaves par exemple, à se transformer de façon maîtrisée. Il me semble, comme à vous, que le CPE s'inscrit dans une série de refus qui peuvent tous paraître légitimes, mais qui révèlent surtout notre incapacité à construire un avenir collectif. Refus de négocier des transformations des régimes de retraite, refus de renforcer l'Europe, refus d'accueillir les étrangers, il y a quelque chose de dangereux dans cette incapacité à regarder le monde en face.

Damsku : Pourquoi ne retrouve-t-on pas de mouvements analogues dans les autres pays occidentaux ? Y a-t-il quelque chose de proprement français dans ce mouvement ?

Free : Pourquoi n'y a-t-il qu'en France que l'on voit ce genre de manifestations ? Les autres pays européens ne sont-ils pas touchés ? Ou est-ce une question de mentalité ?

François Dubet : Je dirais que c'est une question d'histoire. Au lendemain de la crise des banlieues, du gouvernement à l'extrême gauche, nous avons tous affirmé l'excellent modèle social français. Chaque fois que l'on veut réformer l'école, nous affirmons que celle-ci est la meilleure du monde. Tout se passe comme si notre société était prisonnière d'un imaginaire selon lequel tous les changements étaient des décadences ou des chutes. Ce qui fait que nous assistons à la fois à l'exacerbation des conservatismes et aux appels flamboyants à la révolution. En réalité, les uns et les autres s'accordent pour refuser les réformes. Et cette attitude conduit à la dégradation très forte de certaines situations sociales et à une perte de confiance dans l'avenir.

Anna : Pensez-vous que la crise révèle un défaut dans la représentation du "peuple" dans l'Etat ?

François Dubet : Je ne sais pas très bien ce qu'est le peuple. Car le peuple est divisé. Ce qui manque surtout, c'est la capacité d'affronter collectivement nos problèmes, en mettant autour d'une table les syndicats, les représentants de l'éducation nationale, le patronat, afin qu'ils construisent des solutions paraissant acceptables à la majorité. Les pays qui disposent de cette capacité sont aujourd'hui ceux qui réussissent le plus, à la fois dans le domaine économique et dans celui de la protection sociale.

Alu : Ne trouvez-vous pas que toute cette histoire autour du CPE est révélatrice d'une sorte de discrimination de notre société envers ses jeunes ? Et que c'est ça qui est le moins acceptable à leurs yeux, plus que ce contrat en lui-même ?

François Dubet : Je crois que les jeunes sont relativement bien acceptés en tant que jeunes, que consommateurs, qu'individus libres de construire leur vie, et il n'est pas totalement désagréable d'être jeune en France. En revanche, la question de l'emploi des jeunes n'est pas véritablement au centre des enjeux réels, et il y a donc un paradoxe entre une jeunesse qui vit plutôt bien et une jeunesse qui, en même temps, a les plus grandes difficultés à entrer dans le monde adulte. Mais je ne crois guère au thème du racisme anti-jeunes, et d'ailleurs, bien des intellectuels – dont je ne fais pas partie – critiquent abondamment le "jeunisme".

Dominique : Je suis français et j'habite aux Etats-Unis depuis vingt ans. J'ai travaillé pratiquement autant dans les deux pays. Ce qui se passe en France actuellement est totalement "surréaliste". Il faut réintégrer la notion de risque dans la société française et surtout dans sa jeunesse. Est-ce mieux pour un jeune de ne pas avoir un emploi longue durée ou d'avoir un emploi ?

François Dubet : Là-dessus, ma position est claire : l'emploi est toujours meilleur que le chômage. Et je crois que nous ne pourrons pas échapper à un assouplissement du marché du travail, quitte à négocier des systèmes de protection sociale qui fassent que les risques soient supportables en termes de logement, de santé, d'éducation, mais on ne peut pas rêver d'une société dans laquelle chacun serait fonctionnaire, cheminot... Les enquêtes sociologiques montrent qu'il est toujours mieux de travailler que d'être chômeur, et nous n'avons pas à tirer fierté de bien protéger les chômeurs, tant notre système crée beaucoup trop de chômage. Je ne crois pas que les jeunes soient allergiques au risque. La preuve, beaucoup d'entre eux vont prendre des risques en Angleterre ou ailleurs, parce qu'ils ont le sentiment de se trouver dans des sociétés plus optimistes, alors qu'en France la prise de risques est toujours perçue comme excessivement dangereuse. Mais il faut dire aussi que les classes dirigeantes qui donnent des leçons en termes de prise de risques s'en protègent en réalité beaucoup.

Une recherche que je viens de faire sur le travail indique que les individus sont souvent disposés à prendre des risques et à courir l'aventure quand ils pensent qu'ils ont des chances importantes de se réaliser dans cette prise de risques. Je vois beaucoup de jeunes qui essaient de monter une entreprise, qui quittent leur famille pour aller voir ailleurs, qui reprennent des formations, qui n'attendent pas que la vie leur propose automatiquement un emploi garanti jusqu'à la retraite. Et beaucoup d'entre eux ne sont pas nécessairement malheureux.

"COMBINER FLEXIBILITÉ DU TRAVAIL ET SÉCURITÉ DU TRAVAILLEUR"

Caesar : Je m'interroge sur cette incapacité française à progresser sans faire sa révolution. Qu'en pensez-vous ?

François Dubet : Depuis 1789, les Français ont beaucoup parlé de révolution, ils ont fait beaucoup de crises politiques, mais en réalité, ils n'ont guère fait de révolutions. C'est comme le Canada Dry : ça ressemble à la révolution, mais ça n'est pas la révolution. Je pense même que les acteurs politiques qui ne cessent de parler de révolution sont bien souvent les plus conservateurs et les plus corporatistes. Ils veulent changer le monde à condition que leur situation soit le plus préservée possible. Il ne faut donc pas croire que tout ce qui bouge est révolutionnaire, et que tout ceux qui parlent de révolution sont révolutionnaires. Depuis trente ans, tous les mouvements sociaux qu'il y a eu en France et qui ont souvent parlé de révolution ont été en réalité des mouvements de défense de l'état des choses.

Armand : Est-ce que l'on ne confond pas risque et précarité ?

François Dubet : La précarité est inacceptable, parce qu'elle transforme l'incertitude du travail en incertitude personnelle. Le risque, c'est la capacité de construire une vie en ayant la certitude que l'on ne se retrouvera pas demain dans la pauvreté ou dans la misère. Pendant une trentaine d'années, le travail a été relativement rare et garanti à tous. Aujourd'hui, que ça nous plaise ou non, le travail devient plus flexible. Il faut donc que nous apprenions à combiner la flexibilité du travail et la sécurité du travailleur. Pour le moment, la plupart des Français ne veulent pas franchir le pas et défendent les statuts les plus stables et les plus protégés. Cela est bien normal. Mais il en résulte fatalement que toute l'incertitude, tous les risques et toute la précarité sont déplacés sur la population la plus fragile,  notamment sur les jeunes.

Meewad : Ne pensez-vous pas que ce mouvement contredit les analyses selon lesquelles la "jeunesse" actuelle serait dans son ensemble dépolitisée et "individualiste" ? Ou bien cette contestation n'est-elle qu'un phénomène "aberrant" qui ne remet pas en cause une tendance lourde de repli sur la sphère privée ?

François Dubet : Depuis que la jeunesse existe, il y a des vieux messieurs qui expliquent qu'elle est idiote, égoïste, dépolitisée et de ce point de vue, il n'y a rien de nouveau aujourd'hui. Les jeunes ne sont ni plus égoïstes ni plus indifférents à la vie politique aujourd'hui qu'hier. En revanche, il est vrai que nous sommes dans une société individualiste, et l'individualisme n'est pas forcément négatif. Chacun revendique le droit de construire la vie qui lui convient. Ce qui ne veut pas dire qu'il est indifférent aux autres. L'individualisme n'est pas forcément égoïste. Et surtout, n'imaginons pas que dans des sociétés passées les individus n'étaient pas égoïstes, âpres au gain et indifférents aux autres. C'est parce que les étudiants veulent s'affirmer comme individus, construire leur vie, s'affirmer comme des sujets, qu'ils s'opposent à l'avenir qui leur est proposé.

Alu : A votre avis, que devrait faire le gouvernement à l'heure actuelle pour apaiser les jeunes ? Suspendre le CPE ? Le modifier ? Et qu'est-ce qui n'allait pas dans cette réforme ? La manière de la présenter ou le contenu en lui-même ?

François Dubet : Je crois que nous entrons dans une période dangereuse pour le gouvernement. Les étudiants ont de plus en plus de difficultés à contrôler la violence de certains manifestants. Il n'est pas exclu que les jeunes de banlieue essaient de se faire entendre. Il faut donc que le gouvernement calme le jeu et suspende le CPE. Cela dit, il pourrait avoir une manière de s'en sortir, c'est d'ouvrir une négociation nationale prenant à témoin l'opinion publique, dans laquelle syndicats, patronat et acteurs scolaires essaieraient de construire les dispositifs permettant aux jeunes d'accéder à l'emploi dans les meilleures conditions possibles. Pourquoi ne pas imaginer que cette négociation soit relativement présentée au public de la même manière que nous suivons aujourd'hui les travaux de la Commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau ? Je crois qu'il faut que chacun sorte du bois, que les syndicats cessent de se cantonner à la défense des acquis, que le patronat cesse de jouer les irresponsables, et que les universitaires cessent de faire comme si l'emploi n'était pas aussi leur problème. Mais pour l'immédiat, il serait sage de retirer un projet refusé par les étudiants, par la majorité de l'opinion publique, et auquel le patronat ne semble pas véritablement tenir.

Fh : Croyez-vous à une "crise" de la jeunesse, voire à un conflit des générations ?

François Dubet : Je ne crois pas qu'il y ait un conflit de générations, même si cette génération de jeunes n'est pas très bien traitée. En effet, il semble y avoir une forte solidarité entre les générations, les parents sont inquiets et soutiennent leurs jeunes, et je ne crois pas que l'on assiste à un rejet massif de la culture et du mode de vie juvéniles. Le déséquilibre entre les générations résulte plutôt de l'histoire économique de notre société, et d'un système politique qui est très tenu par diverses clientèles qui sont, par définition, déjà très installées dans la société. Ainsi, les parents peuvent aider leurs enfants à titre privé, tout en défendant des acquis ou des positions qui sont pénalisantes pour les jeunes. Par exemple, le refus de la réforme des retraites consistait évidemment à faire payer les jeunes et à leur passer nos dettes.

"JE CROIS QU'IL FAUT RECONSTRUIRE LE MODÈLE FRANÇAIS"

Legohebel : Peut-on penser qu'il s'agit d'une manifestation de "gosses de riches" ?

François Dubet : Non. Les "gosses de riches" sont dans les classes préparatoires, les bonnes et les grandes écoles. Les étudiants qui manifestent sont ceux des facultés de masse, issus des classes moyennes et d'une grande partie des catégories populaires. Ce ne sont ni des riches ni des exclus. Ce sont plutôt des jeunes qui craignent de chuter et d'être exclus.

Flagos : Les profits records des entreprises du CAC 40 ne sont-ils pas un mauvais signal envoyé à la jeunesse, qui serait tentée d'en conclure : "A nous la précarité et le sale boulot, à eux les profits" ?

François Dubet : Je pense que c'est une réflexion juste et que, depuis trente ans, les revenus du capital ont beaucoup plus crû que les revenus du travail. Mais là encore, nous sommes dans une économie mondiale, dont la France tire aussi de grands bénéfices, et il ne faut pas imaginer que quelques riches exploitent la totalité de la planète. Nous revenons au problème de notre capacité sociale et politique de construire d'autres arbitrages. Le problème est moins d'abattre le capitalisme, qui est aujourd'hui planétaire, que de l'aménager de façon acceptable, comme un certain nombre de pays y parviennent.

Porcinet : Quel est le rôle des médias dans cette crise ?

François Dubet : Je crois que les médias jouent un grand rôle, parce que les manifestants s'adressent aux médias : une manifestation sans journalistes et sans télé n'existe pas. Et en même temps, les gouvernements sont paralysés par les médias, car il y a toujours la hantise de la bavure qui ferait basculer l'opinion publique du côté des manifestants. On peut donc considérer que les médias jouent un rôle essentiel, mais c'est un rôle ambigu, à la fois favorable aux mouvements sociaux, mais qui peut devenir très défavorable aux mouvements sociaux dès lors que les manifestations deviendraient violentes et dangereuses. D'ailleurs, les étudiants y sont extrêmement sensibles en essayant de contrôler les éléments les plus violents.

Je ne crois pas que les médias soient impartiaux. Je crois que les médias disent tout, à savoir tout et son contraire. Et on sait qu'au fond, les médias manipulent dans tous les sens et qu'à la fin, ce sont quand même les individus qui font leur choix. En ce sens, une société avec des médias contradictoires et un peu anarchiques est toujours meilleure qu'une société sans médias dans laquelle c'est le pouvoir qui a le monopole des représentations de la vie sociale.

Cipihi : Ne pensez-vous pas que la vision de l'entreprise est biaisée ?

François Dubet : Je suis très frappé de voir à quel point le monde de l'école et le monde de l'entreprise sont séparés. Bien souvent, les jeunes ont une image diabolique de l'entreprise, ou bien parfois une image angélique de l'entreprise. Or l'entreprise, comme toute la vie sociale, n'est ni le diable ni le Bon Dieu.

Cipihi : Faut-il brûler le modèle social français ?

François Dubet : Je ne crois pas qu'il faille brûler le modèle social français. Je crois qu'il faut le reconstruire et surtout, je crois qu'il faut cesser d'en faire une icône de plus en plus éloignée de nos pratiques réelles. Il serait bon que les Français soient fiers de leur société, mais ne s'acharnent pas à ignorer le reste du monde et à considérer qu'ils perdront leur âme s'ils s'éloignent de leur imaginaire.

Chat modéré par Constance Baudry


台長: 喜貓
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